Peut-on porter plainte pour harcèlement ?

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Peut-on porter plainte pour harcèlement ?

Comment le harcèlement est-il traité en droit suisse?

Tout comportement désagréable n’est pas du harcèlement, l’on ne le répétera jamais assez. Si le harcèlement n’est, en soi, pas une infraction pénale, le Code pénal actuel permet de sanctionner la plupart des cas de harcèlement, du moins lorsque ceux-ci atteignent un niveau de gravité suffisant. Par ailleurs, le fait qu’un acte ne soit pas sanctionné par le droit pénal n’exclut pas que d’autres voies juridiques puissent être empruntées. Ainsi, lorsque la voie pénale est inefficace contre un harcèlement, le droit de la protection de la personnalité et, dans le contexte professionnel, le droit du travail, offrent de très bonnes solutions pour mettre fin à un harcèlement. Quant au harcèlement sexuel en milieu professionnel, il implique aussi des comportements dépassant la pure notion de harcèlement et fait l’objet d’une réglementation détaillée imposant à tout employeur désirant éviter les risques de procès, de prendre cette problématique très au sérieux.

Définition du harcèlement

Le harcèlement, à savoir le fait de reproduire abusivement de manière répétée ou systématique des comportements hostiles visant à affaiblir psychologiquement la victime est un phénomène faisant actuellement couler beaucoup d’encre.

Pourtant, si l’on parle abondamment des conséquences chez les victimes de harcèlement et de ses implications en milieu professionnel, les médias parlent relativement peu des aspects légaux du harcèlement, d’où l’existence de nombreuses fausses informations à son propos.

Le harcèlement n’est pas sanctionné en soi

Entrons donc dans le vif du sujet par cette réponse : non, le harcèlement moral n’est pas, en soi, sanctionné par le Code pénal suisse.

Ce mythe peut s’expliquer par le fait qu’il n’en est pas de même dans tous les pays, en particulier en France où le Code pénal sanctionne le harcèlement qu’il soit professionnel ou extra-professionnel (art. 222-33-2 ss). Il est plausible que l’influence des médias français joue un rôle important dans l’apparition de l’idée reçue selon laquelle le harcèlement est pénalement répréhensible.

Cela signifie-t-il que les auteurs de harcèlement n’ont aucun risque d’être inquiété pénalement ?

Non, du moins certainement pas dans tous les cas.

En effet, l’absence de disposition pénale réprimant expressément le harcèlement est un choix du législateur motivé par le fait que d’autres dispositions permettent déjà de sanctionner les comportements constitutifs du harcèlement (voir notamment réponse du Conseil fédéral du 19.11.2008 à la motion Fiala 08.3495).

Le harcèlement sous l’angle de la contrainte (art. 181 CP)

Tout d’abord, il arrive régulièrement que l’auteur use du harcèlement afin de faire céder sa victime dans le but d’obtenir ce qu’il veut d’elle.

En pareil cas, le délit de contrainte (art. 181 CP) pourrait être retenu dans la mesure où le harcèlement permet d’entraver la victime dans sa liberté d’action de sorte à obliger la victime à « faire, ne pas faire ou laisser faire un acte ».

Le Tribunal fédéral l’a reconnu dans un cas concernant un employé licencié qui est mené à attendre son ancien patron sur le parking durant des heures afin de discuter de son réengagement, ce régulièrement et sur une période de plus d’une année (ATF 129 IV 262). Il a confirmé sa jurisprudence en l’admettant également dans une affaire de rupture entre un homme marié avec une tierce personne et sa maîtresse avec qui il avait entretenu une relation durant plus de deux ans. Cette dernière lui avait envoyé de nombreux courriels, fait des graffitis dans le hall d’entrée de son immeuble, écrit à plusieurs reprises à la femme de son ex-amant et à ses proches et publié des courriels privés et intimes de ce dernier sur son propre compte Facebook (141 IV 437).

Le harcèlement doit toutefois atteindre un niveau d’intensité suffisant pour être « propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action ». Son intensité et ses effets doivent être analogues à la contrainte par la violence ou par la menace d’un dommage sérieux (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1).

Le harcèlement sous l’angle de la lésion corporelle simple (art. 123 CP)

Le harcèlement peut être sanctionnable dans la mesure de ses effets lorsqu’il entraine une atteinte à la santé psychique, de sorte à constituer une lésion corporelle simple (art. 123 CP).

En effet, la lésion corporelle simple inclut l’atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé incluant autant la santé physique que psychique (ATF 119 IV 25, consid. 2a et 134 IV 189, consid. 1.4).

Selon le Tribunal fédéral, « [pour] justifier la qualification de lésions corporelles, l’atteinte doit toutefois revêtir une certaine importance. Afin de déterminer ce qu’il en est, il y a lieu de tenir compte, d’une part, du genre et de l’intensité de l’atteinte et, d’autre part, de son impact sur le psychisme de la victime. Une atteinte de nature et d’intensité bénignes et qui n’engendre qu’un trouble passager et léger du sentiment de bien-être ne suffit pas. En revanche, une atteinte objectivement propre à générer une souffrance psychique et dont les effets sont d’une certaine durée et d’une certaine importance peut être constitutive de lésions corporelles. S’agissant en particulier des effets de l’atteinte, ils ne doivent pas être évalués uniquement en fonction de la sensibilité personnelle de la victime; il faut bien plutôt se fonder sur les effets que l’atteinte peut avoir sur une personne de sensibilité moyenne placée dans la même situation. Les circonstances concrètes doivent néanmoins être prises en considération; l’impact de l’atteinte ne sera pas nécessairement le même suivant l’âge de la victime, son état de santé, le cadre social dans lequel elle vit ou travaille, etc. ».

Les cas de harcèlement suffisamment graves dans leurs conséquences peuvent donc être sanctionnés en tant que lésions corporelles simples au sens de l’art. 123 CP tel que l’a clairement reconnu, du moins en théorie, le Tribunal fédéral (TF 1B_730/2011 du 25 juin 2012, consid. 4.2).

Modes d’action illégaux

Le manière de procéder du harceleur peut, en soi, être sanctionnée pénalement, de sorte qu’il y a infraction même lorsque l’acte est commis une seule fois et indépendamment de la question de savoir s’il y a harcèlement. Voici quelques exemples :

  • Le harcèlement téléphonique tombe généralement sous le coup de l’art. 179 septies CP (utilisation abusive d’une installation de télécommunication).
  • Si le harceleur pénètre dans le domicile de la victime, par exemple en franchissant une clôture délimitant le terrain de sa victime, il est sanctionnable pour violation de domicile (art. 186 CP).
  • Si le harcèlement prend la forme d’attouchements, ils peuvent également constituer une contrainte sexuelle (art. 189 CP).
  • Il arrive aussi régulièrement que le harcèlement soit une suite répétée de menaces explicites, auquel cas, l’auteur commet l’infraction de menace (art. 180 CP).

Cas particulier : le harcèlement au travail

Le harcèlement est également un phénomène très souvent évoqué en milieu professionnel.

Les relations propres au contrat de travail, en particulier le lien de subordination et les obligations particulières de l’employeur en termes de protection de la santé et de la personnalité de l’employé nécessitent d’examiner ce cas de figure à part.

L’employeur a pour devoir de veiller aux droits de la personnalité de l’employé, notamment leur santé (art. 328 CO). Or, le harcèlement constitue généralement une atteinte à la personnalité (art. 28 CC).

Le harcèlement psychologique (souvent désigné via l’anglicisme mobbing), lorsqu’il est véritablement présent, constitue un manquement à cette obligation s’il est commis par un membre de la hiérarchie (par effet de l’art. 101 CO).

Lorsqu’il est le fait d’un collègue de même rang ou, même si ce genre de cas est plutôt rare, d’un subordonné, il convient de s’en référer à la hiérarchie et d’exiger que des mesures soient prises pour mettre fin au problème. En pareil cas, ce n’est que si l’employeur ne réagit pas qu’il engage sa responsabilité au sens de l’art. 328 CO.

Cette obligation découle également de l’art. 6 al. 1 LTr, lorsque cette loi s’applique. L’employeur violant cette dernière disposition s’expose à des mesures administratives au sens des art. 50ss LTr de la part des autorités d’inspection du travail et/ou à des sanctions pénales au sens de l’art. 59 LTr.

Cas particulier : le harcèlement sexuel au travail

L’art. 328 al. 1 CO mentionne expressément que l’employeur « veille à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu’ils ne soient pas, le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes ». Le harcèlement sexuel fait donc également partie des violations des droits de la personnalité du travailleur.

Le régime spécial de la Loi sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) s’applique en la matière.

Selon l’art. 5 al. 3 LEg, « Lorsque la discrimination porte sur un cas de harcèlement sexuel, le tribunal ou l’autorité administrative peuvent également condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin. L’indemnité est fixée compte tenu de toutes les circonstances et calculée sur la base du salaire moyen suisse. ».

A cette indemnité peut s’ajouter une indemnisation pour tort moral, dans les cas graves (art. 5 al. 5 LEg).

L’absence de mesures propres à éviter le harcèlement sexuel expose donc l’employeur à répondre des cas de harcèlement indépendamment de sa connaissance de la situation.

Il est toutefois à préciser que la notion juridique de « harcèlement sexuel » peut prêter à confusion dans la mesure où elle dépasse largement la notion de harcèlement tel que nous l’avons définie en début du présent article. En effet, elle « inclut les comportements non souhaités, de caractère sexuel ou sexiste, y compris les propos sexistes formulés sans mauvaise intention et qui ne font pas nécessairement référence à la sexualité » (LEMPEN Karine, Dispositifs de prévention et gestion des conflits / C. Harcèlement sexuel, in DUNAND Jean-Philippe  et MAHON Pascal (édit.), Conflits au travail, Prévention, gestion, sanctions, Centre d’étude des relations de travail, vol. 6, Schulthess, 2015, p 265ss, p 268, l’auteur mentionne, à titre d’exemple, les blagues sur l’intellect des blondes. Si la jurisprudence considère, en effet, les blagues déplacées comme relevant du harcèlement sexuel (ATF 126 III 395), cet exemple nous apparaît comme critiquable dans la mesure où les blagues sur les blondes ne visent pas une appartenance sexuelle à proprement parler, mais portent sur un stéréotype caractérisant une catégorie de femmes).

L’allégement du fardeau de la preuve de l’art. 6 LEg ne s’applique toutefois pas en matière de harcèlement sexuel pour lequel l’employé s’en plaignant doit apporter la preuve entière du comportement incriminé et ne peut pas se contenter de démontrer la simple vraisemblance (WYLER Rémy, Droit du travail, Berne, 2008, p 715).

Dans la mesure où le harcèlement sexuel et les obligations de l’employeur en la matière pourrait, pour le moins, faire l’objet d’un article à part entière et où de plus amples détails sortiraient du champ du présent article, nous renvoyons le lecteur à la littérature citée et au site du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes pour de plus amples détails (https://www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home.html).

 

Outils du droit civil

Si, en présence d’un litige, le réflexe commun est d’envisager la plainte pénale, l’on oublie trop souvent les outils du droit civil.

A ce titre, comme nous avons eu l’occasion de le dire plus haut, le harcèlement constitue généralement une atteinte à la personnalité au sens du droit civil (art. 28ss CC).

L’art. 28b al. 1 CC prévoit expressément qu’en cas de harcèlement,

« le demandeur peut requérir le juge d’interdire à l’auteur de l’atteinte, en particulier:

  1. de l’approcher ou d’accéder à un périmètre déterminé autour de son logement;
  2. de fréquenter certains lieux, notamment des rues, places ou quartiers;
  3. de prendre contact avec lui, notamment par téléphone, par écrit ou par voie électronique, ou de lui causer d’autres dérangements. »

La procédure est introduite par une requête de conciliation, sauf en cas de requête de mesures provisionnelles.

Il est toutefois nécessaire que le juge prenne une décision pour que l’interdiction soit assortie de la menace de sanctions pénales au sens de l’art. 292 CP (insoumission à une décision de l’autorité).

Ainsi, si un accord suite à la conciliation peut parfois permettre de pacifier la situation, il convient néanmoins d’évaluer à la sincérité de l’engagement du harceleur et de ses motivations, car, s’il ne respecte pas ses engagements, la procédure devrait être reprise à zéro pour obtenir des mesures judiciaires.

En outre, suivant la gravité du harcèlement, la victime pourra demander un dédommagement pour torts moraux (art. 49 CO, en relation avec 28ss CC).

Enfin, l’on précisera qu’il n’est pas possible d’ordonner un placement à fins d’assistance (PAFA, qui consiste à placer de force une personne souffrant de graves troubles mentaux en institution sous certaines conditions, généralement en hôpital psychiatrique; art. 426 CC) d’une personne (par exemple, l’auteur de harcèlement) au seul motif qu’il représente un danger pour autrui (TF 5A_407/2019 du 28 octobre 2019), rendant cette institution inutilisable par les victimes de harcèlement.

By | 2019-11-30T16:49:05+01:00 octobre 15th, 2017|Uncategorized|0 Comments

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