COVID-19 : les réunions privées sont-elles vraiment amendables ?

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COVID-19 : les réunions privées sont-elles vraiment amendables ?

La crise sanitaire actuelle est, certes, préoccupante et suppose la mise en place de mesure à sa hauteur par les autorités.

Pourtant, nous restons dans un Etat de droit où les principes constitutionnels perdurent.

L’on pouvait lire, dans 20 Minutes du 7 avril 2020, dans un article intitulé “même dans son jardin, on risque d’avoir une amende” citant le porte-parole de la police zürichoise que «Un espace privé peut devenir public. Lorsque le propriétaire invite d’autres personnes pour une fête, il ouvre son espace privé qui devient ainsi public. Dans ce cas, nous pouvons amender».

D’un point de vue juridique, ce raisonnement apparaît comme hautement contestable que ce soit sous l’angle de la définition de l’espace privé et l’espace public, de la possibilité d’infliger une amende en pareilles circonstances et de l’intervention de la police sans mandat de perquisition.

Le présent article donne un aperçu de la situation au moment de sa rédaction sous réserve de modifications ultérieures des mesures ordonnées par le Conseil fédéral.

Il ne vise qu’à donner une appréciation juridique de la situation, et invite en aucun cas les lecteurs à s’éloigner des recommandations des autorités, le civisme étant de mise plus que jamais.

Clarifications des dispositions applicables

Le journal 20 Minutes a fait mention des art. 6 et 7 (à vrai dire, l’art. 7c) de l’Ordonnance 2 COVID-19 (ci-après, l’Ordonnance).

Que disent réellement ces dispositions ?

L’art. 6 interdit les manifestations publiques et privées (al. 1).

Il traite aussi des établissements publics en mentionnant ceux qui doivent être fermés (ex : cafés et restaurants) et ceux qui peuvent rester ouverts (ex : magasins d’alimentation et vendant des articles de consommation courante).

En cas de violation des interdictions de l’art. 6, l’auteur commet un délit passible d’une peine maximale de trois ans de peine privative de liberté (art. 10f al. 1 de l’Ordonnance).

L’art. 7c, quant à lui, traite des rassemblements sur l’ « espace public ».

Celui qui viole cette obligation s’expose à une amende d’ordre de CHF 100.00 (art. 10f al. 3 de l’Ordonnance).

Ces dispositions font appel à deux notions : celle d’espace public et celle de manifestation.

 

Notion d’espace public

A en croire le raisonnement relayé par la presse, il suffirait à chacun d’inviter des amis chez soi ou dans son jardin pour considérer l’espace de réunion comme un espace public.

Cela est juridiquement faux et heurte même le bon sens.

L’Ordonnance portant l’intitulé, « interdiction de rassemblements dans l’espace public » et donnant, pour exemples, «  les places publiques, sur les promenades et dans les parcs, sont interdits ». Il ne fait donc aucun doute sur le fait qu’elle ne s’applique pas aux espaces du domaine privé.

En effet, l’espace public (ou du domaine public) se définit par opposition à l’espace privé, à savoir les terrains hors propriété privée et ouverts à tous dans la limite de leur affectation.

Le domaine public est défini par l’art. 664 CC et le droit d’en faire un usage normal est garanti par le droit constitutionnel.

Ainsi, il est exclu de considérer un terrain en propriété privée d’une personne physique ou morale comme un espace public.

L’on notera que la d’espace public est plus large que celle du lieu public ou espace ouvert au public (qui peut être une propriété privée, comme, par exemple, les cafés, restaurants et magasin).

La police semble faire une confusion entre ces deux notions, mais attardons-nous tout de même sur celle de lieu public.

 

Notion de lieu public.

L’on pourrait se demander si l’interdiction de l’art. 7c de l’Ordonnance ne devrait pas couvrir les lieux publics comme l’art. 10f al. 2 (disposition permettant d’infliger l’amende) fait mention, vraisemblablement par erreur, de la notion de « lieux publics » (la version alémanique de l’Ordonnance parlant d’ « öffentlische Raum » dans tous les cas, donc de domaine public).

Les amendes d’ordre ne peuvent donc être infligées que pour les infractions sur domaine public.

Indépendamment de ce qui précède, il serait également absurde de considérer qu’un lieu privé se transforme en lieu public dès lors que l’on y invite des amis.

En effet, pour être public, le lieu examiné doit être ouvert au public, soit à un nombre indéterminé de personnes, ce que personne ne fait en invitant des amis.

Considérer le contraire reviendrait probablement à devoir reconnaître aussi que les dispositions interdisant de fumer dans les lieux publics s’appliqueraient dans un tel contexte, autrement dit qu’il serait interdit de s’allumer une cigarette ou un cigare en son domicile avec des amis par le truchement des dispositions sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics.

 

Notion de manifestation

D’une manière générale, l’on définit une manifestation est un évènement organisé pour attirer un large public, par exemple dans un but culturel, commercial, sportif ou politique.

L’organisation de manifestations sur l’espace public, une manifestation constitue un usage accru de celui-ci, autrement dit un usage allant au-delà de ce qui est normal et qui, en ce sens, doit faire l’objet d’une demande d’autorisation.

Si les rassemblements de plus de cinq personnes sur l’espace public sont actuellement interdits et sanctionnables par amendes d’ordre, ils ne constituent pas, en soi, des manifestations qui supposent que d’autres critères soient remplis.

Dans ce sens, organiser des grillades sur l’espace public, par exemple, en campagne ou sur la plage, n’est pas une manifestation, pas plus qu’elle ne peut l’être dans l’espace privé au sens entendu par l’Ordonnance.

Une telle assimilation est d’autant plus exclue du point de vue de la systématique de l’ordonnance qui sanctionne plus lourdement les manifestations privées ou publiques (qualifiées de délits passibles de prison dans les cas les plus graves) que les réunions interdites sur l’espace public (qualifiées de contraventions, passibles uniquement d’une amende).

Ainsi, il est exclu de sanctionner les réunions privées de plus de 5 personnes en tant que manifestations, d’autant plus que l’amende d’ordre n’est pas la sanction prévue pour les manifestations.

 

Nécessité d’un mandat de perquisition

Pour intervenir sur un lieu privé, la police doit disposer d’un mandat de perquisition, sauf si elle est autorisée à y pénétrer par le maître des lieux ou dans certains cas qui ne nous intéresse pas ici.

En effet, un logement est un espace privé, au même titre que les locaux d’une entreprise et le fait d’y pénétrer sans autorisation ou y rester alors que l’on s’est vu intimer l’ordre de quitter les lieux constitue une violation de domicile. La protection de la sphère privée dont il fait partie implique que l’Etat ne doit pas pouvoir y pénétrer comme bon lui semble.

Par l’Ordonnance, le Conseil fédéral a usé de la faculté d’ordonner des mesures d’urgence par voie d’ordonnance que lui permet l’art. 7 de la loi sur les épidémies (LEp), dérogeant ainsi au droit applicable en temps normal.

Il n’a toutefois prévu aucune autorisation de pénétrer sur les lieux privés pour s’assurer du respect des dispositions interdisant les réunions de plus de cinq personnes.

Ainsi, la pratique consistant à considérer que la police serait autorisée à procéder à des contrôles sur les espaces privés n’est pas conforme au droit, indépendamment du fait que les grillades sur espace privé ne sont pas sanctionnables comme nous l’avons vu.

 

Conclusion 

Le Conseil fédéral s’est arrogé des droits pour faire face à l’urgence d’une manière conforme à la Constitution, mais le droit de légiférer dans l’urgence n’appartient qu’au législatif, respectivement à l’exécutif en temps de crise comme celle à laquelle nous faisons face et certainement pas à la police.

Il en va de la séparation des pouvoirs et des principes de l’Etat de droit.

Le Conseil fédéral a renoncé à imposer un confinement généralisé en usant de ses prérogatives, faisant toutefois des recommandations claires dans ce sens et appelant, ainsi, au sens civique de chacun.

Il semblerait que cet appel ait trouvé un écho au sein de la population suisse, démontrant que la responsabilité individuelle et le civisme sont des notions existant toujours en Suisse.

Toutefois, ce n’est pas parce que les réunions privées de plus de cinq personnes ne sont pas interdites (contrairement au raisonnement de certaines forces de police) qu’il serait opportun de ne pas suivre les recommandations, l’effort devant être collectif face à un danger qui l’est également.

C’est le moment de rappeler que la liberté a pour corollaire la responsabilité.

By | 2020-04-08T13:16:48+01:00 avril 8th, 2020|Uncategorized|0 Comments

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